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mercredi 2 mai 2018

L'Écho des Sirènes, avril 2018

© Pierre Tissot
Mercredi 4 avril 2018.
La vielle est studieuse en ce premier atelier du premier mercredi du mois. Jean-Brice, Magalie, Thierry, Ana, et Alain actionnent doctement la manivelle pour faire tourner l’"Adèle", qui commence à tourpiner et tourniquer avec grâce. D’ailleurs, l’hygrométrie est retombée en cet après-midi ensoleillé, et c’est dans une atmosphère exempte de toute moisissure, effluve ou microbiote humecté, qu’une nouvelle présence vient fort à propos se glisser dans le cercle des gyrovielleux. Une présence féminine, toute neuve et toute fraîche, avec un sourire et un nom qui illuminent ce jour : Flavia !


L'harmonie d'un Paratge où règne la parité © Ana

La fée se glisse (non, Pierre, pas la « fée Romone ») discrètement entre Magalie et Thierry, qui la flanque en vingt secondes chrono d’une superbe vielle Havond® sur les genoux. Fin prête à entamer cette nouvelle partition de sa vie, Flavia reçoit comme il se doit les rudiments de l’art des sonneurs à roue en quelques minutes bien ficelées. Et c’est la révélation. Dès les premiers tours de manivelle, son visage s’illumine. C’est sûr, elle sait entendre le son sublime inscrit dans le tréfonds de notre mémoire cellulaire, celui de la vielle à roue et d’autres, perdu dans le vacarme des canons des musiques qui nous conditionnent. Elle est conquise, et produit fièrement ses premiers coups de trompette avec la régularité d’une horloge suisse.
Alors, avec JB aux platines et Flavia au chien de un, le wagon des vielles s’ébranle et reprend sa ronde mue par le blanc-sec. Tout s’équilibre et atteint l’harmonie d’un Paratge où règne enfin la parité.


Le Paratge : un panorama de caractère(s) © Ana


Le Paratge : triptyque 1 © Ana
Et là, le miracle se produit : Marie fait son entrée, faisant par là-même basculer le groupe dans une configuration inédite : la majorité du Paratge est en cet instant constituée de femmes ! Marie, Ana, Magalie et Flavia surpassent numériquement Alain, JB et Thierry. Ce n’est pas encore le Paratge des six reines, mais on s’en approche. Il règne à cet instant une douceur et une harmonie qui transfigurent la salle de musique et font sonner les vielles comme les trompettes de Jéricho. Les esprits de Christine de Pizan, d’Olympe de Gouges, Angela Davis et de toutes les suffragettes viennent envelopper de leur bienveillance le Paratge, qui vit à ce moment un instant d’éternité. Les quatre sirènes convoquent dans leur cœur le souvenir de George Sand, qui leur octroie le titre de maîtresses sonneuses.
Puis Pascal arrive. Mais Alain s’en va. Ana part retrouver Pablo. Flavia promet de revenir la prochaine fois

Les cartes rebattues, nous sommes cinq en lice pour attaquer la dernière ligne droite du Paratge.*
Le Paratge : triptyque 2 © Ana
L’heure est grave : la gente masculine ayant naturellement remis de l’ordre numéraire, Marie et Magalie risquent d’essuyer le sempiternel débat sur les derniers résultats du rugby. Nous ne craignons rien de Pascal : dénichant la vielle de Magalie sous la poussière, notre gentleman viellistique la pomponne à grand renfort de coton (la vielle, pas Magalie). Le danger arrive par Thierry, qui dégaine la première bouteille de vin et les gobelets. Alors Marie prend rapidement les choses en main : « Et si on faisait une liste de tous les morceaux que le Paratge peut jouer quand il se produit ? » Joignant le geste à la parole, elle sort un carnet et un stylo, et hop ! Les trois mâles se trouvent à plancher fiévreusement sur le sujet. Ils ont quinze minutes, au terme desquelles tout le monde se retrouve vielle en main à retravailler des morceaux joués depuis bientôt dix ans lors des joyeuses retrouvailles mensuelles du mercredi. Eh oui, en 2019, ça fera dix ans ! À l’évocation de cet âge respectable, la question de sa célébration s’impose de nouveau à nous.

Le Paratge : triptyque 3 © Ana
Comme l’esprit est à la production et la dynamique au travail, après avoir couché sur le papier la suite des morceaux choisis, nous accouchons sans douleur d’un calendrier festif pour la fin de cette année et pour les célébrations à venir : un ultime Paratge sous les étoiles de chez Magalie le 4 juillet pour fêter autre chose que l’indépendance du pays de Donald et Picsou, et l’Anniversaire du premier mercredi de mai 2019 pour les 10 ans du Paratge, patrie des parties de rigolades, confrérie de tourneurs de la dive bouteille et de la manivielle, territoire de gyrovielleustes bien embouchés et de médecins des bourdons adeptes d’Épicure et pas des piqûres.
Comme de coutume, ce Paratge a son épilogue sur le parking, où les ultimes forcenés ont pris l’habitude de deviser encore un peu à la belle étoile avant le baisser de rideau et le baiser de fin.


Alec-Sandrine


* « La dernière ligne droite du Paratge » ne peut en aucun cas s’appliquer à l’auberge espagnole, qui doit être qualifiée plus justement de dernière ligne tordue.



Mais il y eut un après Paratge du 4 avril. 
Le surlendemain, nous apprîmes tous que le grand Jacques venait de tirer sa révérence. Dans nos foyers, nous avons repris nos airs préférés à sa mémoire. Certains les ont-ils joués à la vielle, d’autres fredonnés, d’autres chantés à tue-tête, voyant sans doute ses souvenirs resurgir au-travers des notes ? 
Mais la poésie grandissant la fatalité, notre artiste Jacques ne voulut pas partir seul. Il voulut quitter ce monde avec générosité et panache, avec une jolie fille à son bras, et dit qu’ils feraient ainsi la route ensemble. Il ne voulait pas d’une petite jeune, non, mais une copine de son âge, avec qui il pourrait rigoler de cette même partie du monde et du temps qu’ils avaient traversée ensemble, chacun avec son existence. 
Et c’est ainsi que Suzy prit la route avec lui. Suzy !
Il l’avait chantée il y a bien longtemps, au faîte de sa gloire, Suzy qui rentrait du Minnesota et qui avait une « plombe de retard ». Cette fois-ci, elle fut à l’heure. Et comme il avait chanté qu’il était mort qui, qui dit mieux, et qu’il voulait cette fille, Suzy sut quoi faire. Elle prit son bras, et c’est ainsi qu’ils firent la route ensemble. 
Pour sûr, lorsque ces deux-là sont arrivés bras-dessus, bras-dessous devant saint Pierre, celui-ci a ouvert tout grand les portes du Ciel en criant « Champagne ! ».