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mardi 8 octobre 2019

L'Écho des Sirènes, septembre 2019

© Pierre Tissot
Les deux appels téléphoniques de Marc m'avaient laissée perplexe. Qu'est-ce qu'il pouvait bien me vouloir, ce cher Marc, à 3 jours de la date de l'annuel et réjouissant rendez-vous, le Paratge clapiérois dans son jardin? Soirée programmée un an à l'avance, attendue par tous avec plaisir anticipé  : retrouvailles des copains, c'est la RENTRÉE !, promesse d'un buffet bien garni, de bouteilles forcément «  bonnes  », et puis, et puis, aahhh et puis LA MUSIQUE ! Et ces étonnants instruments d'un autre âge, tout en rondeurs, en cordes, en manivelles, (re)découverts et offerts chaque année aux béotiens ébahis que nous sommes : les VIELLES. Car ce fameux rendez-vous auquel nous convient chaque année Marc et Kakine, est avant tout rencontre entre 10 vielleux magnifiques et un public sympathique quoiqu' assez ignorant mais d'avance conquis.

Bon. On a retenu la soirée, on a répondu oui aux rappels de nos hôtes, alors quoi ? Ces appels de Marc ?? Un lézard ? Un truc qui cloche ? Meuh non ! Tout va bien. Mais... Tu connais le Blog  ? Ah non, tu savais pas ? Alors tu vois, c'est un blog qui rend compte de ce qui se passe autour de notre groupe de vielleux, et tout çà, (ah bon ? Oh ben c'est bien, çà !), et alors tu vois, l'année dernière, c'est Marie-Hélène L. qui s'en est chargée pour la soirée ici. Tu vois ? Zut, çà y est, j'ai compris, mais je le laisse s'entortiller dans ses explications. Alors bon, pour cette année, on a pensé, enfin quoi... Alors, tu serais d'accord ? (Moi ? D'accord  ? Ah mais non, pas du tout). Juste un petit truc, tu vois. Pour le blog. Un petit compte-rendu pas compliqué. T'es prof de français, hein, alors bon...
Zut et zut. Prof de français, ça ne me lâchera donc jamais, ce truc-là ? Et puis 1) je suis en retraite depuis belle lurette, moi  ! 2) est-ce que avoir été prof de français fait de moi un écrivain public, bon sang ?
Ô Marc, tu viens de me gâcher la soirée. Mais comment refuser quoi que ce soit à l'ami Marc ?
Alors va falloir que j'apporte un papier et un crayon, va falloir que je prenne des notes, va falloir que je retienne tout. Va falloir que je bosse, ô horreur. Et surtout, va pas falloir que je m'endorme, moi qui, passé 10h du soir, ne tient plus debout. (S'endormir ? non mais ça va pas ?) Et donc va falloir que je sois sobre, très sobre, car chez moi, du verre au sommeil, il peut n'y avoir que quelques minutes...

Ce soir-là sent encore l'été dans notre silencieux et quasi-désert village. L'air est doux, tout est calme. Trop calme. On se serait trompé de jour ? Mais la route de Vendargues est bordée de voitures et un léger brouhaha nous parvient, entrecoupé de rires et déjà de tintements facilement identifiables : des bouteilles, des verres... Nous approchons, les paroles se font plus nettes et on commence à distinguer les dernières nouvelles du front, les vacances, la météo, les enfants, les petits-enfants, les parents très âgés, les randos passées et à venir... Des histoires de genoux, de dos, d'arthrose, de mâchoire bloquée, de rétine décollée. Au secours ! Des Tamalous ! Vite, le vin, la bouffe !!
On y est. Embrassades, rigolades, régalades... C'est la fête.
L'ami Marc m'entraîne vers la terrasse d'où s'élèvent des accords cristallins. Je vais te présenter.
— Tiens Pascal, c'est elle qui va...
— Heu, plutôt tout à l'heure, là tu vois, on répète.
Ils sont tous là, nos vielleux, Pascal, Patrice, Jean-Brice, Philou, Marie, Thierry, Marc, Magalie, et bien sûr, notre hôte qui ne cesse de se dévaloriser injustement face au talent de ses amis... On leur doit à eux tous cette soirée qui, comme les années passées, va s'inscrire dans nos mémoires et inaugure notre nouvelle année, scolaire toujours, puisque c'est bien ce rythme-là qui à jamais marque notre division du temps.
Et déjà on ne peut plus s'éloigner, déjà on se remplit les oreilles des accords sautillants de quelque bourrée.

Dans le jardin, les rires et les conversations s'entrecroisent, s'enchaînent, se succèdent. On reconnaît aisément K. qui en a manifestement éclusé quelques uns, mais tu n'en parles pas, hein, me dit-elle. Raté. Mais K., t'inquiètes, tu sais bien que c'est comme ça qu'on t'aime, farfelue, excessive, explosive, créative, généreuse, dans ton atelier et dans la vie.

Paratge des Sirènes et son chef d'orchestre © Kakine

Maintenant la nuit tombe vraiment. C'est l'heure. On se presse sous le tilleul, sous le cerisier, on s'installe sur les sièges dépareillés, on enfile des pulls — on est quand même en septembre —, on est tous yeux, toutes oreilles grands ouverts. Un accord s'élève, vibre, emplit l'espace. Pascal, Marc et les autres se regardent, s'attendent, s'entendent, s'écoutent, se rejoignent, se répondent. S'accordent. «  Dans la musique japonaise, le temps d'accord fait partie de la musique  », lance l'un d'eux. D'accord. La musique s'enroule et se déroule au rythme des tours de manivelle, musique de début du monde (Néanderthal, de la vielle dans les cavernes ??) musique de nos ancêtres, paysans du Moyen Age, du XVIe siècle, musique des fêtes d'autrefois, bourrées, mazurkas, valse même plus tard.
Musique aussi de nos années 70 : Malicorne, la Bamboche, ça vous dit quelque chose ? Et on reconnaît les accents et les sonorités qu'on a aimés dans la période baba cool néo rurale de nos 20 ans.
Les morceaux se succèdent, résonnent les cordes, gronde le bourdon. Vielle de tous les temps, du plus lointain, à un passé moins lointain avec la "Bourrée à Aurore Sand", puis au présent avec la découverte de compositions contemporaines, un morceau de style andin avec charango. Vielle de tous les pays, Angleterre, Italie, Chypre... Vielle des fêtes et des réjouissances. Vielle des retrouvailles, de la convivialité, de l'amitié.

La nuit est tombée. Le ciel est clair et scintille des constellations familières. Un musicien annonce un dernier morceau mais les applaudissements et les rappels obligeront nos vielleux à nous en offrir davantage. Et ils s'exécuteront avec gentillesse pour notre plus grand plaisir.
Mouvements dans les rangs des spectateurs. On se lève. On propose sans conviction d'aider au rangement. Non non pas la peine. On a un peu mauvaise conscience.
Il va falloir partir et rendre au jardin de nos hôtes sa liberté et sa sérénité.
Les musiciens rangent avec soin leurs précieux instruments.
Quelques uns s'attardent. Un dernier verre. Une dernière rigolade.
On est encore envahis par les derniers échos des vielles.

Au fait, on a fixé la date, pour l'année prochaine  ?


Marie-José

3 commentaires:

  1. Vivant et vivifiant, du coup, c'est comme si j'y avais été.

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    1. Au jeu du "J'y étais", Marie-José a de l'avance sur toi : elle n'a pas manqué un seul des sept Paratge de Clapiers !

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  2. Merci Marie-José pour ce moment décrit avec tellement de sensibilité comme une scène immortalisée dans un tableau d'un autre temps...

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