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mardi 12 novembre 2013

La vielle qui fait tilt

Vous aviez remarqué, dans L'Écho des Sirènes d'octobre, qu'un trio de vielleux semblaient buller pendant que les autres partochaient. Les trois cancres profitaient de l'inattention du groupe, pour lire quelque livre léger, pensiez-vous ?

Oui, mais non.
Bruno et Jean-Brice — on a les noms, de ceux qui… — découvraient un album, intitulé "Bonjour Bizu", où sont rassemblées trois histoires, les premières publiées par Fournier dans Spirou : "Pourquoi pas ?", "La vielle qui fait tilt", "La nuit du pou". Trois titres originaux, dans l'univers de la bande-dessinée des années pré-soixante-huitardes. La compilation est ensuite parue en 1982, dans la série Pêchés de jeunesse, chez Dupuis.
Bien évidemment, c'est la deuxième histoire que présentait Patrice, fouineur et cherche-vielle reconnu par ses pairs : des pages inédites dans l'iconographie viellistique, un scénario de vingt-six pages, au sein duquel notre instrument préféré tient le premier rôle !
Cette bédé, publiée en 1967, dans les numéros 1519 à 1531 du journal Spirou, est l'œuvre d'un jeune artiste de vingt-trois ans, Jean-Claude Fournier, admirateur de Franquin, avant de devenir son disciple.

Dans cette aventure, "La vielle qui fait tilt", le personnage principal, Bizu, accompagné par Mukès, un champignon facétieux, et par le facteur du canton, un homme rationaliste et terriblement urbain, se trouve en plein cœur du pays de Frotéliande (plus tard, en 1975, le cadre des histoires de Bizu prendra le nom de Brocéliande). La vielle à roue, amenée dans un colis par ledit facteur, est la source des convoitises de Schnockbul, un monstre poilu, qui fait pousser du flower power sur son passage, et qui collectionne les instruments de musique…

La vielle qui fait tilt — Fournier © Dupuis

Pourquoi une vielle à roue, et non un autre instrument de musique ? Fournier est Breton, il aurait pu dessiner une bombarde, une harpe celtique, un biniou kozh ! Mais non, c'est la vielle.
Une vielle qui finira avec un pavillon comme résonateur, ce qui nous oblige à nous demander si l'un de nos facteurs d'instruments préférés, Joël Traunecker, n'aurait pas été inspiré par les planches du dessinateur…

Avant ces premières publications, il faut savoir que Jean-Claude Fournier avait fait quelques tentatives pour être publié dans Spirou. En vain. Jusqu'à ce que Franquin le repère, puis lui fasse confiance. L'auteur vient alors de créer Bizu (l'étymologie vient du mot breton bizuth, "nouveau"), un garçon sans âge, poète, ermite et écolo (avant que ce mot n'existe), sonneur de biniou comme le montreront les histoires qui suivront les sus-citées. Plus tard, Franquin lui offrira la belle opportunité de lui succéder, en lui confiant la reprise des dessins de Spirou et Fantasio. 
Après les albums de Spirou et Fantasio (de 1970 à 1980), il créera la série "Les Crannibales" (de 1988 à 2003) — prix 2003 du scénario le plus prometteur, au Festival de la bande dessinée d’Angoulême —, puis, plus récemment, "Les chevaux du vent" (2008 et 2012). Toutes ces œuvres étant toujours publiées chez Dupuis.

Nous ne saurons peut-être jamais dans quelles circonstances Fournier rencontra la vielle — à moins que l'auteur ne vienne témoigner, ici-même… —, mais nous ne doutons pas un instant qu'il la connaissait bien, tant le dessin de l'instrument est réaliste. Nous sommes même en droit de nous demander (de fabuler) si ce curieux tilt !, que marque sa vielle, ne serait pas le craquement de la corde trompette ordonné par le coup-de-poignet…


Pascal

1 commentaire:

  1. Chers amis
    Je lis toujours avec grand plaisir votre blog et rubriques viellistiques diverses.
    C’est très amusant et très bien écrit.
    Félicitations au chercheur en archives BD !
    Cette fois, je me sens un peu concerné ! vous allez comprendre :
    Pour ce qui concerne (mon ami) Jean-Claude Fournier, je peux vous donner quelques pistes :
    Je le connais depuis très longtemps, nous avons sonné ensemble au Bagad de St-Quay Portrieux (22) de 1975 à 1985 environ. Il a une très belle vieille maison / atelier, où il travaille au vieux port de St-Quay ( l y un vieux port et un nouveau port, ne pas confondre, localement ça a son importance).
    Jean-Claude joue toujours de la cornemuse écossaise et son frère Michel joue de la bombarde.
    Nous animions souvent des Festou noz dans cette région d’ou je suis originaire, et il y avait dans cette bande un vielleux : Rolland Tostivint, de Binic.
    Cet homme, décédé il y a quelques années, était potier céramiste de grand talent, il avait fait d’importants travaux de collectage musicaux, mais aussi sur les épis de faîtage, il possédait une vielle Pimpart et jouait seul en fest noz, mais aussi parfois avec sa fille Soizig.
    C’est lui qui est à la base de mon activité de facteur de vielles (je suis surtout et toujours sonneur de bombarde, ce qui n’a rien à voir...), car en me voyant bien intrigué observer son instrument il me proposa alors de venir chez lui avec ma mob... pour le voir de plus près, la suite on la connait.
    Jean-Claude a donc vu et touché certainement cette vielle lui aussi, d’où cette description iconographique détaillée, rien ne lui échappe ! c’est comme ça pour tout.

    Voilà, chers amis, un petit filet d’eau pour votre moulin à histoires.

    Bien cordialement,

    Bernard kerboeuf
    facteur de vielles
    20 beaumont
    36400 Briantes

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